Goat mountain de David Vann


Goat Mountain - David Vann - Editions Gallmeister - 2014 - Traduction de l'américain par Laura Derajinski.

Comme chaque année, un jeune adolescent de onze ans part à la chasse avec son père, l'ami de celui-ci et son grand-père dans une réserve de deux cent cinquante hectares. Mais cet automne 1978 est bien différent des précédents car pour la première fois de sa vie, le jeune garçon va avoir le droit et l'honneur de se servir de son fusil et de chasser son premier cerf. 

Ce que nous voulions, c’était courir ainsi, pourchasser notre proie. C’était l’intérêt. Ce qui nous poussait à courir, c’était la joie et la promesse de tuer. 

Tuer est son seul objectif, découvrir ce bonheur là.

Il n’existait pas de joie plus totale et plus immédiate que celle de tuer. Même la simple idée de tuer était meilleure que n’importe quoi d’autre. 

A leur arrivée sur place, ces hommes observent par la lunette de leur fusil un braconnier. C'est alors que l'irréparable se produit lorsque le fils à son tour regarde et aussitôt presse la détente de son arme.

Un scénario inenvisageable pour un père, celui d'un fils meurtrier. Alors que faire dans l'immédiat ? Se débarrasser du corps ? Se livrer à la police ? Continuer à chasser comme si de rien n'était ? 

Toucher les morts. Nous ne sommes pas censés toucher les morts. C'est la raison pour laquelle nous leur préparons une vie confortable dans l'au-delà, afin qu'ils ne tendent pas les bras vers nous. Nous espérons détourner leur attention, les occuper. Un enterrement est un espoir.
 
Un souvenir marquant que l'enfant nous raconte une fois adulte. Chaque homme se positionne différemment face à ce mort gisant à leur pied, face à ce gamin qui ne semble pas réaliser ce qu'il vient de faire. Pourtant l'impuissance de chacun semble prendre le dessus.

On ne peut pas remodeler sa propre nature, et les personnes morales sont toujours impuissantes face à ce que nous sommes.
 
Comment affronter les conséquences irrémédiables d'un tel acte quand on a seulement onze ans ? 

Mais à onze ans, le temps était illimité et inconnu, la vie semblait pouvoir s'étendre à l'infini, et je marchais dans l'herbe sans sentir ni mes chevilles ni mes genoux ni mon dos, rien ne m'avait encore trahi, mes muscles et mes os encore liées. Je n'éprouvais aucune culpabilité, aucun remords, aucune inquiétude comme je les connais à présent, rien que de l'impatience, rien que le mouvement.

Le grand-père, véritable avocat du diable mettra son fils et son petit-fils face à leurs responsabilités sans ménagement aucun, avec une rudesse sans bornes. 

Le père quant à lui, oscillera entre protection et abandon de son fils.

Le personnage de Tom, ami du père, n'a qu'une envie, celle de partir...pourtant contraint de rester, il essayera vainement de se préserver et de conserver son intégrité morale.


La nature prend des allures d'Enfer. Des situations extrêmes, dangereuses, qui m'ont rappelé ma lecture de Délivrance, où des choix cruciaux doivent être faits et rapidement. 

Pour ceux qui connaissent David Vann, vous retrouvez dans ce roman l'ambiance de Sukkwan island, cette nature oppressante et cette tension à chaque page. 

Sauf qu'ici, il décide de lancer les hostilités dès les premières pages, sans préavis. Le lecteur est pris au vif, anéanti.

David Vann nous rappelle, en écho à sa propre histoire familiale, que les morts font définitivement partis des vivants, et qu'ils nous habitent à jamais. Il donne aussi à réfléchir sur les armes, la fascination qu'elles opèrent sur l'homme et sur la violence qui en découle.

David Vann maîtrise son récit dans la durée, crée une véritable escalade de sauvagerie où les défis face à la mort remonteraient à la nuit des temps. Il fait ressortir chez chacun de ses personnages leur propre animalité, leurs réflexes les plus primaires, leur instinct de survie.

La Bible n'a rien à voir avec dieu. La Bible est le récit de notre éveil, une récupération, un rêve atavique racontant la première fois que nous avons appris la notion de honte dans le jardin, la première fois que nous nous sommes considérés comme différents des autres animaux, et Caïn fut le premier à découvrir que certains d'entre nous ne se réveilleraient jamais. Certains d'entre nous agissent selon leurs instincts, et cela ne changera pas. Les dix commandements dressent la liste de ces instincts qui ne nous quitteront jamais.

Un autre très beau passage à mes yeux :

La durée. Ce que nous offre la nature, c'est la durée, la promesse que lorsque nous paniquons, que nous sommes pris au piège et que nous voulons être n'importe où ailleurs, cet instant s'étirera, continuera, grandira, empirera. Ce monde inventé pour des raisons qui ne nous prenaient pas en compte, mais nous l'oublions et c'est pourquoi nous sous-estimons tout.
  
A la fin du récit, le lecteur apprend que ce roman est un retour au matériau de la première nouvelle que j’ai écrite, il y a de cela plus de 25 ans. Ce roman consume les derniers éléments qui, à l’origine, m’ont poussé à écrire : les récits sur ma famille et sa violence. Il revient également sur mes ancêtres cherokees, et leurs interrogations lorsqu’ils furent mis face à l’idée de Jésus.  

Une lecture éprouvante qui laisse le lecteur à bout de souffle. Mais rien de moins étonnant pour ceux qui connaissent ses romans. Une histoire magistrale, sans concession, d'une grande férocité, mais sublime aussi. 

David Vann - Photo Diana Matar
Encore un roman qui m'a marqué comme tous ceux de l'écrivain (Sukkwan island, Désolations à découvrir ici ou Impurs). 

Goat mountain est son quatrième roman à découvrir sur le site de l'éditeur.

Et pour les plus curieux, deux portraits de l'auteur à découvrir dans Chro magazine et Le magazine littéraire.
 
Goat Mountain - David Vann - Editions Gallmeister - 2014 - Traduction de l'américain par Laura Derajinski.

Commentaires

manU_Bouquins a dit…
Punaise, sacré billet !
Tu m'as drôlement donné envie de lire ce livre, j'ai vraiment hâte !
From the avenue a dit…
ah bah quand on aime , on ne compte pas, il est vrai que j'en ai tartiné cette fois-ci ! tu devrais aimer je pense.
Jérôme a dit…
Toujours pas découvert cet auteur. Mais à te lire, je me dis qu'il va falloir réparer ça au plus vite !
From the avenue a dit…
il y a tellement d'écrivains à découvrir...tu peux commencer par n'importe lequel de ses romans. Celui-ci bien entendu !
Vio a dit…
Comme je prévois de lire ce roman bientôt, je préfère survoler ton billet. Je note tout de même que cette lecture va être éprouvante comme les précédentes, mais que ça vaut le coup !
Sinon je découvre ton blog et je me demande : c'est toi qui a laissé un commentaire sur le billet que je viens de faire pour Impurs ou vous êtes plusieurs ?
Guillaume a dit…
Vio, tu fais bien de survoler le billet dans un premier temps oui c'est moi qui ai laissé le com sur ton billet nous sommes deux à alimenter le blog merci pour ta visite bonne journée Guillome.
In Cold Blog a dit…
Vu comment tu m'as semblé emballé l'autre fois sur FB (et ton billet confirme ton enthousiasme), je m'y suis plongé à mon tour.
Je suis plutôt d'accord avec toi, ce roman est fort sur tout ce qui touche au fond : l'animalité et l'instinct de mort (l'épisode du cerf va certainement indigner quelques bonnes âmes à chats), assumer la responsabilité de ses actes, les rappels à la religion...
En revanche, j'ai trouvé la forme si ce n'est mauvaise, au moins pas terrible. Le style tranche franchement des précédents roman et cette accumulation de phrases nominales, ces répétitions et redites, parfois seulement à quelques lignes d'écart... m'ont terriblement gêné. J'ai mis un temps fou à entrer dans le roman, j'ai parfois eu envie de sauter des passages...ce qui ne m'était pas arrivé avec ses autres textes.
Au final, les thèmes et les réflexions l'emportent et j'en garde tout de même une forte impression.
Et surtout, n'oublie pas de nous raconter comment s'est passée la rencontre ;-)
Guillaume a dit…
l'épisode du cerf est insoutenable effectivement (je fermais les yeux et je crispais la bouche en me disant : putain il y va fort). pour ce qui est de la forme, le roman traîne peut-être sur la longueur mais pour moi, c'est aussi une sorte de "chemin de croix" du jeune garçon. j'ai eu le même sentiment que pour "impur" quand le garçon s'active autour de la grange. ça dure des plombes. pour moi, cette "lenteur" signe le fait que Vann veut que ses personnages aillent jusqu'au bout d'eux-mêmes, au plus profond de leur tripes. enfin, je le vois comme ça. sinon, je te dirais pour la rencontre...ça approche !
Yv a dit…
J'avais aimé Sukkwan Island mais pas du tout le suivant dont j'ai oublié le titre, ton article est enthousiaste mais le commentaire d'Incold blog me refroidit un peu
Guillaume a dit…
Je trouve Laurent un peu dur sur la forme, peut-être exigent dans tous les cas, et il a bien raison au vu de la qualité de ses précédents romans. Pour ma part, la forme m'a convaincu ! Le deuxième roman de Vann s'appelle "Désolations" peut-être plus classique dans sa forme comparé à son premier coup de maître qu'est "Sukkwan island".
dasola a dit…
Bonjour, moi qui ai détesté "Sukkwan Island", je passe mon tour. Bonne après-midi.
Guillaume a dit…
Salut Dasola, effectivement Goat Mountain ne risque pas de te plaire alors...Il faut avoir le coeur bien accroché ;)
Léa Touch Book a dit…
Il me le faut !! :D
From the avenue a dit…
oh que oui Léa !!! :-)