En finir avec Eddy Bellegueule d'Edouard Louis

En finir avec Eddy Bellegueule d'Edouard Louis

Pour celles et ceux qui ne l'ont pas encore lu, rattrapez-vous avec ce poche qui vient de paraître il y a quelques jours. Lors de sa sortie en janvier 2014, il avait fait sensation. On en avait parlé sur l'Avenue...


Première scène. Collège de campagne. Eddy Bellegueule reste sans rien dire, le sourire aux lèvres (de peur des représailles) après s'être fait cracher dessus. Puis il se fait tabasser. Là encore sans rien dire. A partir de là, Eddy nous parle de sa vie dans un village du Nord avec sa famille où pauvreté et violence font bon ménage.

Et là je peux vous dire qu'on y croit à ces personnages. Un père gros et gras, ne bouffant que des frites, se bourrant la gueule tous les soirs avec ses copains de l'usine...avant de se retrouver au chômage pour invalidité. Une mère qui passe son temps à récurer sa porcherie de maison tout en insultant la télévision quand elle voit un noir ou un arabe. Pleine de rancœur, de dégoût vis à vis de la société et des politiques en général. Des frères qui reproduisent ce qu'ils voient au quotidien : se battre avec les copains, picoler et fumer et tenter de lever les filles du village qui sont bien entendus que des salopes.

Manque de chance pour cette famille, leur fils, Eddy est tout le contraire d'eux. Il n'en faut pas beaucoup pour que ses parents s'inquiètent et se révulsent de ses manières de fille, sa voix aiguë, son asthme qui l'empêche de se battre, toujours fourré dans les jupes de sa mère. Une vraie lopette, une sale tapette, une grosse fiotte ma parole ! Et puis ça commence à jaser dans le village, que vont dire les voisins ? Que dire à l'entraîneur de foot qu'Eddy ne veut plus en faire ?
Eddy passe son temps à essuyer les moqueries et les insultes de ses "camarades" et de ses parents. Souffrance, angoisse, peur. Honte d'être soi-même. Dégoût et rejet de sa propre sexualité. Tenter de rentrer dans le moule, d'être un vrai dur (comme il se le répète tous les jours pour s'en convaincre qu'aujourd'hui il sera un dur, un vrai). Dans l'impossibilité de se révolter, il entrera dans une relation sado masochiste avec ses cousins qui abuseront de lui. Eddy aura bien du mal à correspondre à ce que l'on attend du lui, à se construire, à se créer une identité propre.

C'est tout ce quotidien répugnant et violent, cette accumulation de misère qui sont passés en revue. L'auteur retranscrit le langage parlé de ses proches, ce qui donne une force et une véracité au récit. On se demande en tant que lecteur comment Eddy va réussir à s'en sortir dans de telles conditions, à vivre son homosexualité.

Certains reprocheront à Édouard Louis de trop en faire, d'être constamment dans l'apitoiement, dans le misérabilisme. Pour ma part, j'ai trouvé ce récit d'une grande justesse et d'une sincérité désarmante. Ce qui est assez réussi, c'est qu'à aucun moment, Eddy se pose en victime ou montre un doigt accusateur ses parents ou ceux qui le martyrisent.

Et enfin ce début de roman, superbe : 

De mon enfance je n'ai aucun souvenir heureux. Je ne veux pas dire que jamais, durant ces années, je n'ai éprouvé un sentiment de bonheur ou de joie. Simplement la souffrance est totalitaire : tout ce qui n'entre pas dans son système, elle le fait disparaître.

Un témoignage dur et révoltant sur la bêtise, la vulgarité, et l'ignorance. Un premier roman réussit, très émouvant. Un vrai choc. 

En finir avec Eddy Bellegueule - Edouard Louis - Point - sortie le 07 mai 2015.

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