Du polar de François Guérif, entretiens avec Philippe Blanchet
Je ne résiste pas à republier aujourd'hui un billet de 2013 sur ces entretiens passionnants. Tout amateur de romans
policiers devrait y trouver son compte sans problème. Une conversation
entre Philippe Blanchet et le spécialiste du polar qui se lit avec
avidité, une tasse de thé à portée de main. J'ai tourné les pages sans
m'en rendre compte, prenant des notes des bouquins que François Guérif
donne envie de lire.
Et pour débuter, quoi de plus naturel de nous parler du personnage emblématique de Sherlock Holmes ? C'est L'ultime défi de Sherlock Holmes de Michael Dibolin qu'il faut que je me procure ou bien dans un autre genre les livres de David Goodis (La nuit tombe et Sans espoir de retour) qui ont été, dans son parcours de lecteur un vrai choc.
François Guérif nous raconte comment il a ouvert une librairie spécialisée dans le polar Le troisième Oeil,
où les passionnés franchissaient la porte et les écrivains se
rencontraient. Il parle de ses rencontres littéraires comme Robert Bloch
qui a été victime d'une grande injustice selon lui. Pyschose
livre a été étouffé par Pyschose film. Truffaut est coupable quand il
dit à Hitchcock : "Vous êtes un génie, vous avez pris un matériau
indigne et vous l'avez transformé en chef-d'oeuvre". D'ailleurs Bloch en
avait gros sur la patate. Pourtant Hitchcock lui-même a déclaré plus
tard que tout le film était dans le roman.
Jim Thompson est pour lui un incontournable.
J'aime
bien citer Stephen King. Il dit en substance : "moi j'écris des livres
d'horreur qui sont censés faire peut, et je peux vous dire que, quand on
écrit ce genre de bouquins, il arrive toujours un moment où un
mécanisme de blocage se met en place, qui fait que vous vous dites, non,
il faut que je m'arrête, sinon ça va trop loin. Jim Thomspn, lui - Big
Jim Thompson comme il l'appelle - ne s'arrête jamais. Il est le seul".
Je crois que Stephen King a parfaitement raison. Thompson décrit une
descente dans les tréfonds de l'âme humaine comme personne n'avait osé
le faire avant lui.
François
Guérif nous parle passionnément de ses débuts en tant que directeur de
collection et éditeur. Sans oublier les problèmes de traductions des
années 50/60 (il n'était pas rare que les romans édités à la Série noire
par exemple soient largement amputés sans que cela pose le moindre
problème) d'où la réédition par exemple aux éditions Rivages (dont il
est directeur de collection) des romans de Jim Thompson (L'échappée).
J'ai
aussi trouvé très intéressant les passages sur l'histoire et l'évolution
du roman policier à travers les décennies, du noir américain en passant
par le roman noir français des années 50/60 et le néopolar des années
70 notamment avec un auteur comme Manchette. L'arrivée de Jean-Patrick Manchette va faire l'effet d'une énorme claque dans la gueule. Je confirme ! C'est bien ce que j'ai ressenti à la lecture de Nada! (à ce propos, je vous conseille cet essai pour les amateurs).
Du Polar, c'est aussi le portrait d'un éditeur.
Le
rôle d'éditeur, c'est d'abord de bien lire une oeuvre, puis de savoir la
défendre. De savoir faire partager son enthousiasme, et de la
respecter, cette oeuvre. Rien ne m'agace plus que lorsque j'entends
certains dire : "ah ouais, c'est un bouquin de serial killer...Le serial
killer, ça marche..." Pour moi ça ne signifie rien. Est-ce que le
bouquin est bien ? Est-ce que le type a une écriture ? C'est comme les
mecs qui disent : "le bouquin nordique ça marche...Ouais, celui-là est
moins bien, mais c'est un nordique..."C'est ridicule. C'est pathétique.
François Guérif passe en revue les écrivains qu'il publie et les
relations d'amitié qu'il entretient avec eux : James Ellroy, Edward
Bunker, John Harvey ou encore Robin Cook. Pour ce dernier, il s'arrête
sur un de ses romans qui selon lui a marqué l'histoire du polar J'étais Dora Suarez dont on ne ressort pas indemne en tant que lecteur (là aussi, je confirme).
Il termine par ses mots :
Corneau,
dans la préface qu'il m'avait écrite pour un bouquin sur le film noir
américain, disait : "peu importe la sauce à laquelle on veut me la
fourgue, SF, fantastique, épouvante, drame psychologique, au goût du
jour, je ne dis jamais nous. Le polar est un virus qui s'infiltre
partout, même dans les citadelles apparemment les mieux protégés." Je
partage cette idée. En fin de compte, j'aurais tendance à faire la même
remarque que Robin Cook : je me rends compte que, personnellement, 80%
de ce qui m'intéresse dans mes lecture, c'est du roman noir.
Pour finir, le lecteur a droit au top 100 du spécialiste : "les polars de ma vie". J'irais piocher volontiers dedans!
Du polar de François Guérif, entretiens avec Philippe Blanchet - Rivages/Noir - sortie le 30 mars 2016.
Commentaires
Un homme passionnant comme ton billet !