L'heure de plomb de Bruce Holbert
L'heure de plomb est un roman que j'ai beaucoup aimé. Je l'ai lu avec avidité et grand plaisir.
Bruce HolBert est un merveilleux conteur d'histoires. Il vous emmène loin avec ses personnages au destin tragique. Son écriture est dense, belle, évocatrice.
L'écrivain place naturellement son histoire dans l'Etat de Washington là où il a passé son enfance dans les régions rocheuses et désertiques. Le roman commence par l'hiver 1918, particulièrement rude. Matt y perd son frère jumeau et son père parti à leur recherche en pleine tempête. A 14 ans il se retrouve seul avec sa mère, devenant à peu trop tôt l'homme de la maison, à la tête du ranch familial. S'en suit la recherche du cadavre de son père enfoui quelque part sous la neige, accompagné de la jeune Wendy. On suivra le destin de ses deux personnages dont l'amour naissant se brise brutalement. D'autres personnages graviteront autour de Matt, qui tentera d'oublier son passé, mais à quel prix...
La nature façonne les hommes à son image. C'est indéniablement le cas dans cette histoire où les personnages n'ont pas d'autre choix que d' être forts pour (sur)vivre. Cette nature ne les épargne pas. Sa beauté leur donne aussi leur caractère, leur sensibilité. Ces hommes et ses femmes, souvent solitaires, se réfugient dans le travail, seule source de satisfaction et d'existence.
Dans un univers où les sentiments n'ont guère leur place, l'amour n'a pas dit son dernier mot. Lorsqu'il est exprimé, c'est d'une manière rare, maladroite, explosive ou à l'inverse, rentré, impénétrable. Les relations entre les personnages sont souvent frontales, violentes, sans concession. Ce qui fait toute la force de ce roman. Il m'a fallut avoir le cœur bien accroché dans certains scènes très intenses.
Un passage du livre que j'ai trouvé très beau :
Certains jours, quand le petit matin se faisait particulièrement brillant de givre ou embaumé d'efflorescences, ou que la vallée aplatissait l'aube, la réduisant à une simple ligne dure et rouge, que la lumière liquide jaillissait de ce trait et s'incurvait pour éclabousser la ville misérable ainsi que le terrain vague où il résidait avec sa famille, il ruminait sur la trajectoire d'une vie. La sienne lui apparaissait comme une pierre qu'on aurait lancée ; il n'avait pas la moindre idée du bras qui lui avait donné sa direction. Son parcours demeurait invisible à ceux qui ne connaissaient pas son histoire. Et au lieu de finir sur une route de terre ou de rester à l'ombre d'un rocher escarpé avec plusieurs centaines de pierres identiques à lui - dans le premier cas il aurait fait preuve de permanence, dans le second il aurait au moins été entouré de ses semblables - il se retrouvait dans un lac ou un fleuve, en train de couler, invisible, avec, pour seule trace de son passage, des vaguelettes ridant la surface de l'eau.(...) Il se satisfaisait d'être soumis à la volonté d'une force supérieure, fût-elle la nature, le destin, la providence ou la pesanteur.
Article publié pour la première fois lors de sa parution en grand format
L'heure de plomb - Bruce Holbert - Traduit de l'américain par François Happe - collection "Totem" - Editions Gallmeister - parution le 04 avril 2019.
Commentaires